La bourse ou la vie, les conséquences de l’État d’Urgence

Alors que le ministère de l’Intérieur rassure les professionnels du Tourisme sur les attaques diverses et variées (voir actu), les forces de l’ordre salent parfois la facture du coût sécurité quand il s’agit d’un festival de musiques actuelles et encore plus quand il s’agit d’un événement électronique.

J’ai joint ma voix à un collectif d’organisateurs électroniques soutenus par Freeform et Technopol – Techno Parade pour demander une grille tarifaire aux conventionnements de sécurité dans Le Monde.

Technopol récolte les témoignages d’organisateurs ayant eu à s’engager à payer des prestations de service par des préfectures ou gendarmeries, formulaire à diffuser.

État d’Urgence pour la musique : les festivals payent l’état pour leur sécurité.

Quand le gouvernement de Nicolas Sarkozy prend en 2010 un décret autorisant les services de l’État à facturer l’intervention des services des forces de l’ordre sur des manifestations publiques, celui-ci ne vise que les très grands rassemblements, principalement les matchs de foot qui génèrent beaucoup d’argent et pour lesquels la collectivité doit assumer des coûts importants en matière de maintien de l’ordre. Mais depuis deux ans, dans le contexte d’état d’urgence, cette facturation s’étend progressivement à de plus en plus de manifestations culturelles et de festivals de musiques actuelles, surtout les événements électro.

En plus de poser de sérieuses questions sur le rôle de l’état et la place de la culture dans notre pays, cette pratique en prenant de l’ampleur est devenue une source d’instabilité économique et juridique pour ceux qui font vibrer le public français.

Si les organisateurs déposent plusieurs mois à l’avance leurs dossiers de sécurité en préfecture, les « devis » des gendarmes ne leurs sont adressés que quelques jours avant la date de la manifestation. Ces factures pouvant se chiffrer en dizaines de milliers d’euros, elles mettent en danger l’équilibre financier de projets souvent fragiles d’autant plus qu’il n’existe aucun moyen d’anticiper leur montant.

Ce « prestataire » atypique, service déconcentré de l’État, est à la fois juge et partie. Aucune contestation n’est possible et pas de mise en concurrence. La préfecture décide unilatéralement du niveau de la prestation dont le montant doit obligatoirement être accepté et payé d’avance à 60%. Si le « client » conteste le “devis”, le préfet-prestataire peut décider d’interdire la manifestation ou imposer d’autres dépenses de sécurité. Les risques sont grands pour qui oserait protester auprès d’une autorité au pouvoir discrétionnaire en matière de sécurité et c’est l’omerta sur les montants facturés.

Dans un contexte d’état d’urgence et de budgets restreints, les préfectures peuvent prononcer une interdiction sans avoir à la justifier réellement. Organiser un événement culturel équivaut à jouer à la roulette russe avec son compte en banque. Si certaines multinationales du live peuvent absorber de tels coûts, les acteurs indépendants et associatifs doivent parfois faire des coupes importantes dans leur budget artistique, ou jeter l’éponge.

Encore plus surprenant, les montants facturés varient selon les préfectures et les organisateurs. Selon l’application plus ou moins scrupuleuse des directives ministérielles par la préfecture, selon le soutien des élus locaux et la lecture du projet culturel en question par les gendarmes, on constate des écarts de 1 à 10 pour des manifestations équivalentes. Une étonnante facturation « à la tête du client » qui fait s’interroger sur le sens de l’état. La cour des comptes pointait récemment dans un rapport confidentiel (Le Point, 8 juin 2017) l’absence de prise en charge du cout des 400 CRS mobilisés par le Printemps de Bourges alors que les gendarmes bretons réclamaient 12 000 euros pour une fête techno amateur de 2000 personnes dans la campagne finistérienne.

Le décret sur lequel se basent ces facturations précise qu’elles peuvent avoir lieu « lorsque les intervention des forces de l’ordre ne peuvent être rattachées aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de sécurité et d’ordre publics ». La culture et la fête sont les premières cibles des terroristes en Europe et pourtant ce sont les acteurs visés qui doivent autant en supporter les conséquences.

Fragilisés par la baisse de fréquentation post attentats en 2015 et le doublement des dépenses sécurité en dix ans, les acteurs culturels sont victimes d’une « double peine ». Ils sont pourtant des moteurs essentiels de la vie culturelle, créateurs d’opportunités économiques non négligeables et d’emploi non délocalisables. Pourtant Culture et Tourisme pèsent 18% du PIB.

Le pouvoir discrétionnaire des préfectures, doublé de ce rôle de prestataire de sécurité, est source d’instabilités juridique et financière. Il est temps de créer un cadre légal précis pour ces décisions administratives dont les conséquences se mesurent parfois en millions d’euros. Pour le justiciable, le recours au référé d’urgence n’est pas possible la veille de l’ouverture des portes.

Les acteurs du secteur sont responsables, pleinement conscients des risques liés au terrorisme et de la fragilité des services publics soumis à de grandes contraintes, mais cela doit se faire dans la transparence et l’équité. C’est ensemble, de manière concertée et solidaire, que pouvoirs publics et acteurs culturels doivent agir. On ne peut se limiter à une lecture comptable pour la sécurité de la culture.

La première étape de ce débat public est une table ronde mercredi 20 septembre prochain à la Gaité Lyrique lors de la « Paris Electronic Week » lors de la semaine de la Techno Parade.

Signataires :

•Tommy Vaudecrane, Technopol / Techno Parade

•Samuel Raymond, Freeform

•Jack Lang, Ministre de la Culture / Président de l’IMA

•Aurélien Dubois, Weather Festival Paris

•Mathieu Guerre Berthelot et Gildas Rioualen, Festival Astropolis

•Christophe Vix Gras, Chevalier des Arts et des Lettres et défenseur historique des musiques électroniques

Sources juridiques :

– Arrêté du 28 octobre 2010 fixant le montant des remboursements de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie NOR: IOCF1022874A, Version consolidée au 27 septembre 2016,

– Décret n° 97-199 du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie, NOR: INTC9700053D, Version consolidée au 27 septembre 2016