HARVEY MILK, un point de vue gay.

Logo Greyhounnd

L’étincelant Greyhound qui, depuis St Louis, m’emmenait vers la Californie avalait consciencieusement les interminables miles vers  le Pacifique. J’en profitais pour converser avec deux jeunes qui, tassés au fond du bus et ne se quittant jamais, m’intriguaient. J’avais rapidement compris qu’ils étaient très proches mais quand, mis en confiance par mon air bohème et charmant de jeune frenchie accomplissant son grand tour d’Amérique, ils me confièrent qu’ils fuyaient New York, j’eus quelque peine à le croire. Comment en 1976, aux States, deux jeunes gays -Time Magazine venait de populariser ce terme avec, en ce même mois d’août 76, une couv’ qui fit scandale sur « le phénomène des gay bars » – pouvaient-ils être obligés de quitter leur ville ? Je prenais brutalement conscience d’une réalité cachée : celle de l’irrespirable climat d’homophobie latente et de violence policière inouïe d’une Amérique prospère, puritaine, blanche et chrétienne. À l’instar de milliers d’autres, ces deux voyageurs voulaient d’abord aller vivre en paix et en sécurité à Frisco. San Francisco, La Mecque des hippies, des campus Marcusiens, des communautés Peace & Love, des étudiants radicaux, de l’utopie libertaire et qui exerçait sur les jeunes du monde entier une fascinante attraction. « Go west ! », bien avant les paillettes disco des Village People.

Pochette des Village People
Pochette des Village People

Quelle ne fut donc pas ma surprise de voir ainsi débuter Harvey Milk dans une salle obscure germanopratine 30 ans plus tard pour l’avant première FG ! Par un violent flash-back, au fond du Cinéma St Germain, au coeur d’un Paris bourgeois, « vélibé » et « pacsé ». J’avais donc vécu, moi aussi, le pèlerinage à Frisco pour satisfaire une quête personnelle dévorante qui, dès mon retour des States, se mua en activisme teigneux à Paris (cf wikipedia)…. Tout est juste dans ce film : son ton, ses couleurs, son cadre 70’s, ses personnages, leur idéal, leur drame intime et politique, la violence et les roueries. Et jusqu’à ce charmant blond frisé au nez aquilin et au poil broussailleux. Car, comme si cela ne suffisait pas, on y voit le pur sosie de mes 24 ans qui crève l’écran !

Mais Harvey Milk, c’est d’abord l’affirmation violente, radicale, sensible et lyrique que plus rien ne devait désormais être comme avant pour des individus aux choix différents, qu’une anxieuse sémantique « hétéronormée » et quelque peu déboussolée allait désormais appeler des « gays » et des « lesbians ». Ce film est un docu hors pair sur notre époque, sur l’émergence d’une société différente pour ne pas dire  moderne, c’est un film est une plongée archéologique dans l’Histoire à mettre impérativement entre toutes les mains. Et à projeter dans toutes les classes, surtout celles des écoles religieuses de toutes confessions ! Aussi sûr que le Black Power, né des combats pour les droits civiques, un Gay Rights Power a émergé à Frisco (les sifflets d’Act up ne sont-ils pas ceux qui prévenaient déjà des descentes de flics sur Castro ?) pour prendre toute sa place dans l’évolution démocratique des sociétés occidentales. Un héritage de lutte qui est aujourd’hui donné en partage à tous. Ainsi du Pacs, dont on va fêter les 10 ans et dont je fus le premier à défendre en 1989 et contre une doxa communautaire gauchisante majoritairement favorable au statut improbable de l’homosexualité, le concept fondateur du Partenariat Civil. Un texte visionnaire qui prévoyait, d’emblée et généreusement (« Nos libertés seront les vôtres ») l’ouverture d’un nouveau statut matrimonial laïque aux hétérosexuels. Et, cela va de soi, aux sus-désignés gays et lesbiennes. Car le Pacs n’est-il pas, au final, une grande conquête pour les hétéros qui le plébiscitent aujourd’hui en masse ? Et donc source d’une légitime fierté pour la communauté LGBTQ, comme il est très politiquement très correct de la nommer aujourd’hui, sans  trop se prendre encore les pieds dans le tapis d’un mariage, ô combien « hétéronormé », plus ou moins socialement forcé, et dont la plupart des gays semblent n’avoir cure. Mais me voilà à nouveau repris par ma flamme militante : oui, il est vrai que je souhaite que l’on améliore encore le Pacs et notre Code Civil (famille, droits sociaux, etc.), avant que d’aller en procession se marier pour celles et ceux que cela démange au point de ne pouvoir s’en passer. C’est mon choix. Et je salue aujourd’hui les propositions du gouvernement Sarkozy sur l’homoparentalité qui vont dans le bon sens.

La longue marche commencée, notamment avec Harvey Milk à San Francisco, n’est pas finie. Honorons celles et ceux  qui, anonymes ou célèbres, disparu-e-s ou vivant-e-s, l’ont porté en des temps durs et héroïques. Fini de raser les murs, de subir, de quémander, juste être dans la lumière pour faire la paix avec les autres ! Être en paix avec soi-même pour reconquérir l’estime de soi, iniquement volée et violée par des censeurs, des bigots, des lâches et des cons. La fierté, la « pride » et notre inoxydable Gay Pride. En ce sens, Harvey Milk est une véritable « re-naissance ».

Henri Maurel
Paris, vendredi 6 mars 2009