Monumenta : une belle exposition qui anéantit le soutient à l’art contemporain en régions !
Encore une fois, je soutiens Yves Aupetitallot et consorts dans leur interpellation de l’opinion sur le devenir des arts plastiques.
Les débats sur l’art et la culture de ces derniers mois ont été principalement tournés vers l’impact économique de la crise sur la dotation budgétaire du ministère de la culture et de la communication, ainsi que sur la fiscalisation de certains produits de leur économie marchande. Bien que la première soit une condition principale et que les conséquences multiples de la seconde aient pesé sur le renoncement à son exécution, ce n’est pas tant l’environnement économique de l’art qui est maintenant au cœur de son devenir, que l’épuisement de la politique générale publique qui les a portés depuis l’après-guerre pour laisser trop souvent place aux illusions d’une conception strictement entrepreneuriale.
Ainsi, sommes-nous devant la nécessité de réactiver le modèle de l’action publique et l’opportunité de construire le scénario de transformation de l’action de l’Etat en relation équilibrée avec les collectivités locales et territoriales. Et c’est pourquoi les membres de l’Art Center Social Club, regroupement libre et autonome de structures diverses qui agissent en région sur le terrain de l’art d’aujourd’hui, entendent apporter ici leur contribution à une réflexion dont l’un des axes serait un impératif rééquilibrage géographique.
A cet effet, rappelons que la scène artistique française s’est reconstruite dans les années quatre-vingts à partir d’un réseau de structures nouvelles réparties sur l’ensemble du territoire. Elles ont tissé l’environnement social, économique et intellectuel qui a favorisé l’émergence de nouvelles générations d’artistes qu’elles ont accompagnées dans la production, l’exposition et la diffusion de leurs œuvres notamment à l’international.
A cette stratégie de maillage et de réseau s’est substituée progressivement celle d’un recentrement sur Parispour servir des initiatives de grande envergure censées redonner à la scène française « recapitalisée » la primauté internationale qu’elle avait perdue. A ce jour, et ce malgré les multiples rapports qui se succèdent depuis 1992 1, plus de dix millions d’euros ont été mobilisés pour la Triennale, Monumenta et le projet du Palais de Tokyo à un moment où la non indexation des dotations budgétaires en région a paupérisé ses destinataires, laissés pour compte de la vision stratégique de l’Etat.
Reterritorialiser l’action de ce dernier suppose d’abord le rééquilibrage de la distribution de ses moyens budgétaires, fussent-ils contraints, voire en diminution. Il est vain, quoique sans doute pertinent, de penser que l’opération puisse être réalisée au détriment du spectacle vivant institutionnel. Il serait plus sûr de déplacer une partie des crédits dévolus à la triade évènementielle citée ci-dessus, d’autant que les supposés maux dont elle voulait être le remède sont loin d’être guéris.
La question des moyens ne saurait suffire à incarner la rénovation attendue, même si elle satisfaisait la demande de création d’outils juridiques autant que fiscaux plus souples et mieux adaptés à l’environnement économique ou bien encore à une réorientation du taux supérieur de défiscalisation de la loi mécénat en direction de la recherche et de l’expérimentation.
Parmi le catalogue de mesures qui pourraient lui donner corps (redéfinition du rôle des directions régionales des affaires culturelles en lien avec les collectivités locales, renforcement de la mission scientifique et technique de l’Etat pour les 1 200 musées en région, etc.), la remise à plat de la typologie institutionnelle s’impose à la mesure de ce qui avait déjà été recommandé en la matière2. Le rattachement des musées d’art contemporain à la direction du patrimoine est-il sensé quand leur harmonisation avec les Fonds régionaux d’art contemporain est une évidence ? L’émergence d’une deuxième génération de structures que choisirait de favoriser cette refondation, issues de rapprochements et de croisements variés de compétences, leur permettant d’atteindre la taille critique de véritables plateformes, faciliterait l’apparition de pôles d’excellence français à l’échelle européenne.
Le rééquilibrage territorial et budgétaire de l’action de l’Etat, soutenu par la modernisation de ses méthodes et de ses outils, le réinstalle dans ses missions régaliennes les plus prospectives de pilotage et de stratégie de l’action publique. Il resterait dès lors à réfléchir à l’objet même de son action, les modalités, les acteurs et les destinataires de sa mise en Å“uvre.
A l’instar des débats qui ont suivi en juillet dernier la démission des artistes du conseil d’administration du MoCA de Los Angeles 3, disons combien la vision entrepreneuriale qui a prévalu au changement de statut des plus grandes institutions de l’Etat a induit leur transformation en agences culturelles de plus en plus éloignées de leur cœur de mission d’origine. Elle aura également promu le seul consumérisme pour les grands évènements municipaux qui s’étaient pourtant pensés éducatifs et participatifs.
Le moment est effectivement venu de réaffirmer l’essence même de l’art, l’artiste, sa production et l’exposition qui rend visible et intelligible le dessein de recherche et d’expérimentation qui l’origine.
De ce fait, la mise en place d’une éducation à l’art basée sur l’expérience perceptive et cognitive de l’œuvre et de son contexte est possible comme l’émergence d’œuvres initiées par l’idée du bien commun ou bien commandées par l’avant-garde d’une société.
Forts d’une connaissance pragmatique du terrain et d’une proximité constante avec l’artiste et son oeuvre, nos établissements, corps intermédiaires obligés, sont dès lors les possibles promoteurs d’un redéploiement de l’éducation artistique en lien avec les structures d’enseignement et de formation. Qui d’autre en effet est en mesure de restituer clairement le lien entre l’histoire de l’art, l’histoire du goût et la connaissance du contexte de production, de commande et de réception des œuvres dont la société toute entière pourrait alors se sentir responsable.
La situation présente pourrait sembler paradoxale à qui voudrait croire que le moment d’une crise budgétaire interdirait toute réinvention de l’action publique. Les entrelacements de propositions développés ci-dessus, devraient, en tous cas nous le souhaitons avec un volontarisme fait de passion et de pragmatisme, contribuer à nourrir une hypothèse contraire.
1– 1992, le rapport Latarjet met en avant la disparité et les déséquilibres entre Paris et la Province. Le rapport Poncet qui le suit lui ajoute la disproportion des crédits dont la moitié est affectée à Paris.
2– « …C’est leur (les artistes) donner des lieux de vie et de travail, sans forcément normer, calibrer ces lieux à l’identique. Notre politique culturelle a sans doute souffert de la généralisation des labels, de la normalisation des cahiers des charges. C’était peut-être nécessaire pour éviter un certain arbitraire et surtout pour poser des digues face au flot des émergences versus la permanence des institutions. Mais on est allé trop loin. Il faut rouvrir des allées de traverse. ». Catherine Tasca, « L’utilité de l’artiste, l’appétit du public », Libération, 27 juillet 2011.
3– Catherine Opie, John Baldessari, Edward Ruscha et Barbara Kruger.
Auteurs :
Yves Aupetitallot (MAGASIN-Cnac, Grenoble)
Blandine Chavanne (Conservatrice en chef du patrimoine, Nantes)
Florence Derieux (FRAC Champagne-Ardenne, Reims)
Xavier Douroux (Le Consortium, centre d’art contemporain, Dijon)
Nathalie Ergino (Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes)
Jill Gasparina et Caroline Soyez-Petithomme (La Salle de Bains, lieu associatif dédié à la production et à l’exposition, Lyon)
Maryse Jeanguyot (Faux Mouvement, centre d’art contemporain, Metz)
Charlotte Laubard (CAPC musée d’art contemporain, Bordeaux)
Thierry Raspail (Musée d’art contemporain/ biennale de Lyon)
Yves Robert (Institut supérieur des arts de Toulouse)
Louis Ucciani (Centre d’art mobile, Besançon)
…
Au moment où cette tribune est publiée, la presse anglo-saxonne s’émeut des difficultés financières de nos institutions, comme l’atteste cet article.