Jacques de Bascher, un faune « fin de siècle »

Jacques de Bascher n’est pas le personnage le plus évident dans l’histoire contemporaine. Il serait à la littérature ce qu’a été Robert de Montesquiou pour Proust : un papillon de nuit, voire un ara aux ailes aspergées de Mouchoir de Monsieur (le parfum commandé à Guerlain par de Montesquiou…).

C’est une fable de la bourgeoisie française catapultée dans la jet set Disco et dans le sillage de Karl Largerfeld.

Ces deux photos sont assez saisissantes. On pourrait reprendre le nom de la rubrique de feu Michel Cressol « Une folle à ma fenêtre »… Le hasard fait que Montesquiou et Bascher ont paradé chacun-e à une ouverture de fenêtre en grand équipage.

Pourquoi parler de Jacques de Bascher ici ?

« Moratoire noir(e) marque un tournant de la culture gay et de la culture club. les bars, sex clubs, saunas et tea dance 100% masculin se développent. Cette nouvelle vague d’établissements propose des espaces dédiés où la consommation de sexe est possible à toute heure du jour et de la nuit. »

Jacques de Bascher, dandy de l’ombre, éditions Seguier

Moratoire noir(e) ou la dernière grande fête organisée par Jacques le 24 octobre 1977 ou la première plus grande fête gay de la fin du XXe siècle en France, bien avant les fêtes Gai Pied des années 80 (dont j’ai vécu la fin…) et la multiplication des clubs gay des Halles. Et en plus ce club était à Montreuil. Il fallait être visionnaire, et ce avant l’ouverture du Palace…

La lecture de la biographie de Marie Ottavi est également une fabuleuse introduction à l’intimité de Karl Lagerfeld. Cet homme avait fait le choix de nier le sexe :

« On évite toute jalousie, toute compétition, estime t il. On s’est débarrassé de la pesanteur inéluctable que l’on connaît dans une histoire d’amour classique. Ainsi on peut vivre l’amour absolu, insouciant et léger, puisque le cul n’y joue aucun rôle. J’y crois beaucoup ».

Marie Ottavi a eu la chance extrême d’interviewer Karl sur son grand amour. Elle obtint ainsi les seules confidences du très secret Karl sur cette relation, qu’il mena jusqu’au terme de la mort de Jacques en 1990, décédé à l’hôpital de Garches sans avoir bénéficié de l’AZT… Alors que les Archives LGBTQI sortent enfin de l’obscurité (voir le projet de Centre), Karl a brûlé les tonnes de vêtements (quand on pense qu’il pouvait avoir dix versions différentes d’un même modèle…) et les affaires personnelles de Jacques après son décès. Jacques, un faune de fin de siècle en quelque sorte…

C’est pourquoi la fugacité de la vie terrestre, son extrême vacuité, est parfaitement illustrée dans cette épitaphe posthume, véritable bulle de champagne ou trace de cocaïne fossilisée d’un temps révolu. Cela me fait penser aux élégances 1900 qui se rangeaient derrière les artifices décoratives des Barbares selon Maurice Barrès (Sous l’œil des barbares), les extravagances d’un Montesquiou et je ne parle pas de Lorrain et de son éther…

Merci Marie, merci de ce moment triste et profond sur la superficialité de la vie.

À lire : Jacques de Bascher par Marie Ottavi