Rencontre d’un autre type : Anaïd Demir ou l’âme de Global Tekno 2000

Anaid Demir - 2000
Anaid Demir – 2000

Dans toutes les manifestations artistiques, il y a toujours une inspiratrice, ce n’est pas toujours une personne physique (il y a des Muses dans les Arts paraît-il) mais le projet Global Tekno a rencontré Anaïd Demir, jeune journaliste art contemporain (FG, Technikart), prof à Paris VIII et commissaire d’expo (curator en anglais). Même si la définition de Global Tekno n’est pas de faire des accrochages entendus comme expo, l’idée est de rapprocher une musique non conventionnelle et polymorphe avec le travail d’artistes déclarés ou associés.

 

 

Global Tekno 2000 est à classer dans les événements culturels de l’année, intégré à la Beauté, grande exposition produite par l’Etat en Avignon réunissant une centaine d’artistes en plusieurs lieux comme le Palais des Papes.

Il vous reste jusqu’au dimanche 1er octobre pour vous y rendre…

– Delisound: Est-ce que Global Tekno est une exposition ?
– Anaïd Demir: Non, en tout cas, pas au sens traditionnel du terme. Une exposition traditionnelle implique un accrochage hiératique, une atmosphère quasi sacrée. Les visiteurs ne sont pas appelés à agir, ils sont de simples spectateurs qui se limitent à la contemplation. Aujourd’hui, l’art actuel fait des spectateurs des acteurs et on a plutôt affaire à des évènements. C’est d’autant plus vrai avec Global Tekno 2000 que les artistes invités ont tenté de créer une atmosphère avec du son, des images projetées, une mise en scène lumineuse. C’est un environnement dans lequel le visiteur est appelé à inter-agir.

– D: Serait-ce la version festive de l’exposition ?
– AD: Peut-être. C’est le terme « événement » ou encore « ambiance » qui semble le plus approprié.

– D: Y-a-t-il des expositions équivalentes ?
– AD: Rares sont les lieux vouées à l’art qui laissent réellement intervenir le public, le baignent dans une atmosphère, mais ça se fait de plus en plus. Une atmosphère dans laquelle les gens n’ont pas peur de se confronter physiquement aux oeuvres et sont même autorisés à le faire. Dans les années 90 en France, le critique d’art Nicolas Bourriaud a commencé à parler d’une « Esthétique Relationnelle » dans l’art, ces « évènements » sont aussi le prolongement de cela. De plus en plus, on voit des lieux alternatifs qui proposent des « évènements » sur deux ou trois journées où se mêlent toutes les expressions plastiques dans des ambiances festives.

– D: Est-ce un revival 70’s ?
– AD: Ce serait trop simple de penser cela. Le contexte des années 70 n’a pas grand chose à voir avec aujourd’hui. Notre époque est davantage liée aux nouvelles technologies, aux nouveaux procédés électroniques, au mix. etc. plutôt qu’aux limites morales ou physiques et à la politique. Les performances par exemple dans les années 70 tentaient de repousser les limites du corps. Ici, il y est plutôt question de partager une expérience avec le public, sans pour autant le provoquer ou le violenter visuellement. Lorsque que dans les années 70, Chris Burden se fait tirer dessus en public, il se place plus sur le terrain d’une expérience individuelle. Même chose lorsque Gilbert & George jouent les statues vivantes sur un socle de musée.
Pour ce qui est de baigner dans une atmosphère relaxante, on pourrait citer la Monte Young qui est un artiste des années 70 et qui a d’ailleurs présenté un environnement dans le cadre de « La Beauté » à Avignon. Ça semble très proche du « chill-out » créé par Saas Fee, en même temps, ça a une dimension zen et mystique directement liée au contexte des années 70. L’environnement de Saas Fee est actuel car il est ludique, léger, terrien, bref épicurien.

– D: Comment as-tu découvert Saas Fee ?
– AD: Lors de la précédente édition de Global Tekno qui s’est tenue à la Grande Halle de la Villette en 1998, je recherchais des artistes. J’étais en contact e-mail avec un artiste du label autrichien Mego qui m’a renvoyé sur « Arosa 2000 », soit l’ancien nom du collectif « Saas Fee », et sur Monika Friebe, l’artiste porte-parole de l’équipe.  J’ai flashé sur leur oeuvre. « Arosa » devait mettre en place un environnement très excitant avec des bornes interactives, des images virtuelles, du son. Pour des questions de budget, l’opération est tombée à l’eau. Cette fois, cette année, le projet Saas Fee a monopolisé la majorité du budget Global Tekno 2000.

– D: Qu’est-ce qui t’a séduit chez Saas Fee ?
– AD: La générosité de leur concept sous toutes ses formes. L’esprit ludique et technologique de leurs environnements, la participation du public. Leur esthétique électro-pop, les formes, les couleurs, les lignes très graphiques mais aussi l’esprit dans lequel tout cela est conçu. Souvent, les artistes qui travaillent avec les nouvelles technologies se laissent dominer par les prouesses techniques. Là, pour une fois, l’union de l’art et des technologies est réussi. Le moyen technologique s’efface au profit de l’esthétique. Ils sont totalement connectés à notre époque et semblent privilégier la notion de plaisir visuel, sensuel, onirique. Et puis, c’est un collectif, ce qui explique leur productivité et le nombre de pièces présentées dans la « Biosphère Numérique ». Un seul artiste pourrait difficilement générer autant de travaux.

– D: Peux-tu nous faire une description de ce collectif ?
– AD: Ils portent le nom d’une station chic des Alpes suisses. C’était déjà le cas de « Arosa », le nom que le collectif portait précédemment. Le choix d’un tel nom au chic quelque peu désuet aujourd’hui relève chez eux de la dérision. C’est assez difficile de remonter toute la généalogie de Saas Fee et de dire exactement qui fait quoi. D’autant qu’ils revendiquent peu l’aspect individuel de leur travail. Il y a néanmoins un « noyau dur » qui se compose de Moni Friebe et d’Alex Oppermann. Ils vivent à Offenbach près de Francfort et mettent en place des collaborations avec des artistes, des programmateurs, des designers, des musiciens (comme Superpop et Pink Elln).

– D: Quelle est leur volonté initiale ?
– AD: Réaliser des espaces de relaxation, de plaisir, de jeu. Leur challenge pour Global Tekno 2000 était de rendre chaleureux un espace industriel difficile à exploiter avec ses 15 m de long et ses murs de 7 mètres de haut.

– D: Qu’est-ce que la « Biosphère Numérique » ?
– AD: C’est une appellation générique que Saas Fee a utilisé dans sa correspondance avec Jean-Yves Leloup pour résumer l’environnement qu’ils préparaient. Ce nom a tout de suite paru évident à tout le monde et notamment à Henri Maurel, le directeur de Radio FG et commissaire en charge de Global Tekno au sein de la Beauté.

– D: Tu as présenté d’autres artistes pour « Global Tekno 2000 ». Peux-tu nous parler d’Emmanuelle Mafille ?
– AD: Par le biais du dessin, elle relie la sphère électronique à l’univers de l’art.  Les univers qu’elle choisit sont ceux de la musique électronique, de la mode ; la pop culture actuelle. Elle rend compte du mode de vie de la jeunesse d’aujourd’hui, à la fois adulte et responsable mais toujours reliée à une enfance hantée par Goldorak par exemple. Et tout cela est dépeint d’un trait léger. Sans prétention mais humain. Lorsque ces dessins deviennent des stickers géants et s’accrochent aux murs presque fragilement  mais dans des couleurs fluo, brillantes, les personnages qu’elle met en scène deviennent les avatars de nos années 90-2000 qui sont électroniques comme il se doit.

– D: Et Invader ?
– AD: C’est le lien entre la mosaïque antique et le pixel numérique. Les « Space Invaders » sont des personnages tout droit sortis d’un des premiers jeux vidéo des années 70. C’est donc aussi la préhistoire de l’Electronique. Le fait que l’artiste ait sorti ce personnage de son univers électronique pour le faire revivre dans la rue fait de notre univers réel un jeu vidéo. Et l’artiste joue avec le monde, il s’attribue des points, en fait perdre à la ville quand l’une des ouvres est détruite. C’est un jeu de pistes avec les passants mais aussi avec les flics. Il y a aussi la notion de réseau qui se greffe. Sa démarche relève de l’appropriation. Du réel au virtuel, il occupe les murs mais sévit aussi sur le Net. On peut d’ailleurs suivre ses pérégrinations sur son site: space-invader.com.

Propos recueillis par Christophe Vix-Gras pour Delisound.com / Wanadoo Éditions