La jeunesse est elle encore une valeur d’avenir ?

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Le point de vue de Fabrice Bonniot, ami et secrétaire général de Thnopol, suite au lancement de « Rotterdam, capitale de la jeunesse 2009 ».

Question un brin paradoxale à laquelle on serait tenté d’instinct de répondre par l’affirmative. Pourtant, comment pouvoir être sûr de la réponse dans une époque qui devient chaque jour un peu plus conservatrice ? Deux éléments relayés par les média nous font douter. D’abord, d’un point de vue structurel, le vieillissement des populations européennes en cours tend à faire évoluer les centres d’intérêt vers davantage de confort, voire de conformisme. Ensuite, conjoncturellement, la crise économique actuelle incite les individus et les gouvernements à rechercher davantage de protection, voire de protectionnisme. Tout cela ne sent pas vraiment l’altérité et le questionnement qui sont les caractéristiques d’un esprit « jeune ».

Depuis plus de 10 ans, Technopol produit une Parade de rue musicale et festive qui est devenue le second évènement jeune après la Fête de la Musique. La jeunesse est donc un sujet qui nous (adhérents de Technopol et tecnoïdes patentés) concerne tant dans son mode opératoire que dans ses formes d’expression.

C’est à Paris en 1998 qu’est née la Techno Parade après avoir observé ce qui se passait outre-Rhin au croisement de la création musicale électronique et de la transformation éphémère de l’espace public. Création et transformation, les deux piliers qui, à Berlin puis à Paris, ont révélé les tenants de la Parade, qu’elle soit « Love » ou bien « Techno ». Ce qui comptait, c’est qu’elle soit un spectacle de rue qui challenge pendant quelques heures la ville et ses habitants à travers la découverte et la communion musicale, la reconnaissance de modes d’expression novateurs et la réappropriation du territoire urbain dans la lignée des Situationnistes.

Si les revendications initiales de la Parade, qu’elles soient Love ou bien Techno, semblent s’être un peu dissoutes depuis dans la volonté essentielle de faire la Fête, pour autant il ne s’agit pas de regarder dans le rétroviseur à la manière de « c’était
mieux avant… », mais plutôt de s’interroger sur ce qui peut advenir après…

Après ?… Après avoir regardé vers Berlin il y a plus de 10 ans déjà, il est peut-être temps aujourd’hui d’ôter ses œillères culturelles et d’oser regarder vers d’autres territoires moins médiatiques où la « jeunesse » pose ses marques. Il y a une ville
« jeune » en Europe dont on parle peu et qui pourtant mériterait qu’on s’y intéresse de plus près. Cette ville, c’est Rotterdam. A priori, on s’étonne. En quoi la ville portuaire la plus colossale au monde (ou peut-être la seconde après Shanghai) susciterait notre excitation ? Faut-il être étudiant en architecture pour se pâmer devant les structures osées de Rem Koolhas ? Un trip indispensable aux seuls militants de la cause verte qui voient en Rotterdam l’esprit de la ville éco-citoyenne ? Non. Rotterdam est avant tout cela un réservoir d’énergie qui stimule ceux qui y pénètrent, au-delà de leurs préjugés. A Technopol, nous nous en étions déjà un peu doutés quand en 2007 nous avons décidé de monter un partenariat européen pour associer plusieurs Parades de musiques électroniques, auquel la FFWD Dance Parade de Rotterdam s’est jointe dès le début avec un plaisir non dissimulé.

2009. Une année importante pour Rotterdam qui se décide à afficher ce qu’elle est fondamentalement : une ville jeune et ouverte sur le monde. Un chiffre déjà  : un tiers de la population a moins de 28 ans. Et, un second ; 174 nationalités y
cohabitent ! Deux chiffres qui donnent le coup d’envoi d’un projet évènementiel majeur pour la ville : « Rotterdam, Capitale de la jeunesse en 2009 ». Comment cela ! Vous n’étiez pas au courant qu’il y avait une nouvelle capitale de la jeunesse pour douze mois en Europe ? Normal. Cela n’est pas le fruit d’une décision votée par une institution de l’Union Européenne, mais simplement une initiative lancée par la ville et appuyée par le Forum de la Jeunesse Européenne. YOUR WORLD, c’est le nom de ce projet qui rassemble plusieurs festivals et évènement urbains, petits et grands, sous une même bannière jusqu’à la fin de l’été.

YOUR WORLD, c’est un monde jeune créé et en partie géré par des jeunes qui ont été associés à sa programmation évènementielle. En outre, YOUR LAB, un des ateliers de YOUR WORLD permet à 20 d’entre eux chaque trimestre de monter leur propre projet avec un budget de 2.500 Euros. La participation est en effet une des clés culturelles de Rotterdam. Rien que dans le domaine du DJing, c’est l’effervescence collective. « Ici tout le monde veut apprendre à mixer » nous indique
Mare Straetmans, le directeur de OFF CORSO, un des principaux clubs de la ville qui programme des professionnels renommés au son commercial, tout comme de jeunes talents totalement inconnus. Le lien commun entre les deux ? La grande majorité de ces artistes provient de Rotterdam. « Parce que Rotterdam est une ville d’ouvriers. On travaille dur ici. Les DJs locaux connaissent bien les goûts du public. Ils se donnent sans compter pour offrir une expérience originale qui va au-delà des 2 heures du mix standard qu’un DJ star international se contente souvent de faire. »

L’offre de clubbing à Rotterdam est riche, malgré la proximité avec Amsterdam, car il y a une vraie demande populaire. Trois clubs majeurs sont concentrés dans le centre-ville : OFF CORSO, CATWALK et WATT, sans compter les autres clubs un peu
plus éloignés. En septembre dernier, CLUB CRUISE, un évènement proposé par la ville a rassemblé plusieurs milliers de clubbers (alors que Rotterdam ne compte que 500.000 habitants). Mais CLUB CRUISE, c’est quoi ? Pour y répondre, on pourrait dire que CLUB CRUISE est au clubbing ce que la Fête du Cinéma est au 7ème art en France. Il suffit d’acheter une entrée dans un club et hop, à vous l’accès à toutes les soirées de tous les clubs de la ville le temps d’une soirée ! L’émulation entre les clubs se fait sur la diversité musicale et l’originalité de la programmation. A l’image des deux gros évènements à l’affiche de YOUR WORLD : le festival MOTEL MOZAIQUE qui pour sa huitième édition continue de faire le grand
écart entre les courants alternatifs, et NEW SKOOL RULES, un nouveau projet qui se veut la plus grande rencontre européenne des professionnels du Hip-hop et du R’nB en Europe (un peu à l’image de la MIAMI WINTER CONFERENCE pour les musiques Club).

Diversité et originalité qui sont bien le reflet des métissages locaux. YOUR WORLD, c’est un monde ouvert aux jeunes mais c’est aussi un monde ouvert sur le Monde. Si Paris et Londres sont déjà fort cosmopolites, ce n’est rien en regard de Rotterdam
qui marrie toutes les teintes de peau et de musique au gré des sound-systems. Rotterdam a choisi d’intégrer son environnement multiethnique dans le processus créatif loin de tout cloisonnement ghettoïsant.

La question de l’environnement n’est bien-sûr pas que socioculturelle à Rotterdam. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors qu’elle a été très largement détruite par les bombardements en 1945, et qu’il fallait presque tout reconstruire, ses dirigeants ont décidé de donner la priorité à la circulation des marchandises et des hommes avec la création de grandes artères et de vastes plateformes d’échanges. Circulation fluidifiée, à l’image de l’interaction permanente entre les navires
internationaux et les grues du port qui s’affairent à charger et décharger ce qui génère la source économique essentielle de la cité. L’interaction était d’ailleurs le thème de l’édition 2007 du D.E.A.F., le Dutch Electronic Arts Festival qui tous les
deux ans depuis 1995 présente le résultat des travaux du V2 « Institute for unstable medias » autour de l’art, des médias et des technologies à travers une programmation excitante d’ateliers, de séminaires, d’expositions et de performances. L’espace urbain transformé en espace de jeu ? Initié en 2007 sous forme de débat, le concept a été repris par YOUR WORLD qui cet été organisera une compétition de gamers sur des kilomètres de tentes disposées entre Coolsingel et le Pont Erasmus. Un immense réseau éphémère outdoor. L’environnement public traité comme une surface de jeu pour une nuit seulement. Ou comme un bien dont chacun se sentirait un peu responsable en devenant de temps à autre un « green guerillero », un perturbateur des nombreuses friches industrielles qui traversent la ville en fabriquant des « bombes vertes ». Armé d’un ballon gonflable que vous aurez rempli d’un mélange de graines, d’engrais, d’eau et de terreau, il vous suffira de choisir le champ de combat approprié pour y lancer votre grenade verte qui quelques semaines plus tard, selon les aléas météorologiques, aura laissé place ici et là autour des algecos et autres plots de béton à, par exemple, de jolis géraniums rouges.

Ainsi, l’environnement public n’est jamais vraiment figé à Rotterdam. De nouveaux édifices aux formes fantaisistes ou futuristes poussent régulièrement aux côtés d’une église ou d’un quartier historique. Des performances vocales ou théâtrales
insolites s’installent subitement pour quelques heures sur les plateaux d’un immeuble en cours de construction. Un silo agricole en plein cœur de la ville se transforme en contest Hip-hop/Break-dance pour un week-end… C’est l’esprit même du Rotterdamer, qui aime la nouveauté et le recyclage de l’existant. Tout passe, tout se transforme… On a un vague souvenir d’une leçon de philo sur Héraclite et on se dit qu’aujourd’hui, il pourrait vivre à Rotterdam. Le vieux grec à la barbe fleurie aimerait sans doute cet esprit « young-minded » où ce n’est pas tant la jeunesse calendaire qui stimule les initiatives que l’adéquation naturelle des citoyens aux flux énergétiques qui parcourent notre planète. On peut s’en convaincre en observant un peu amusés, les clubbers du WATT sautiller sur le dance-floor « à développement durable » qui recycle leurs vibrations en électricité. Mais on peut aussi longer en bateau les hauts murs de containers multicolores sur les quais du port pour se prendre à rêver d’une ville dynamique tel un enfant qui redistribue ses briques de lego au gré de ses envies démiurgiques. Rotterdam, une ville « instable », structurée par ses activités bien plus que par ses lieux, à l’image d’un esprit jeune qui ne prend rien pour acquis et continue de construire avec le monde tout en encourageant ses propres talents.

En 2010, Turin sera la capitale de la Jeunesse. Le choix de la capitale pour 2011 sera officialisé le 9 mai 2009. On sera bien inspiré d’observer ce que l’initiative lancée par Rotterdam encourage ailleurs pour, peut-être, avec un peu de courage oser
adopter un esprit plus « jeune » chez nous aussi.

Fabrice Bonniot, 2009.